Révolutions arabes Portés par l'élan des tunisiens et des égyptiens qui ont renversé leurs dirigeants dictateurs et autocrates...
Révolutions arabes
Portés par
l'élan des tunisiens et des égyptiens qui ont renversé leurs dirigeants
dictateurs et autocrates et les systèmes mis en place par ces derniers, une
certaine contestation populaire apparaît au Maroc (où tous les ingrédients sont
réunis pour une contestation sérieuse : misère, inégalités sociales,
chômage massif des jeunes, corruption, absence de démocratie, etc.) pour
réclamer une modification en profondeur de la constitution et amorcer une
nouvelle ère politique. Les autorités marocaines répondent que la situation y
est différente car un processus "irréversible" de démocratisation est
en cours et que la liberté d'expression existe à l'exception de trois sujets tabous :
la monarchie, la religion et le Sahara. En réalité, derrière une apparence de
démocratie, le système politique marocain correspond à une monarchie
autocratique qui dirige et contrôle à peu près tout.
UNE
DÉMOCRATIE DE FAÇADE
Pour
affirmer que le Maroc est lancé dans un processus démocratique, plusieurs
leurres sont mis en avant. Tout d'abord, la constitution de 1996 (adoptée par
référendum avec un oui à plus de 99 % !) affirme que "le Maroc est une
monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale" et que les
citoyens disposent des libertés d'opinion et d'expression, sous réserve de
limitations apportées par la loi ! Ensuite, il est mis en avant que les
dernières élections législatives ont été libres. Les résultats des scrutins
correspondent globalement aux votes réellement exprimés et les partis ont
présenté globalement les candidats qu'ils souhaitaient. D'ailleurs, il est
invoqué que le Maroc connaît depuis l'indépendance le multipartisme. Enfin, de
nombreux journaux sont publiés et plusieurs radios émettent. Ainsi, les
principaux critères déterminant une démocratie sont remplis et permettent aux
autorités publiques d'affirmer que le Maroc est lancé dans un processus de
démocratisation. Mais derrière cette apparence, se cache le fonctionnement d'un
régime assez autoritaire. Certes, il ne s'agit pas de la Corée du Nord ni de la
Lybie, mais le pouvoir est exercé par un seul homme, le roi, assisté de
conseillers, plus ou moins influents et éclairés. On peut critiquer le gouvernement,
les parlementaires, les élus locaux et les préfets, mais c'est pour mieux
interdire toute critique du roi !
Le roi règne
et gouverne seul. Au terme de la constitution, il est le chef de l'Etat, des
armées et des croyants. Ainsi, en tant que commandeurs des croyants disposant
de quasiment tous les pouvoirs politiques, cette constitution établit une
monarchie de droit divin. En outre, par la constitution, il dispose d'un
pouvoir de nomination très large : il nomme et révoque librement et
discrétionnairement le premier ministre et les ministres, les ambassadeurs, les
Walis et gouverneurs (préfets), les directeurs d'établissements publics
et des autorités administratives, etc. A peu de chose près, il nomme qui il
veut, quand il veut et au poste qu'il veut ! Il peut dissoudre
discrétionnairement et librement chacune des assemblées du parlement. Il
promulgue les lois et peut demander le réexamen d'un projet de loi.
Au-delà du
terrain politique, la monarchie occupe le terrain économique. Au travers d'une holding
qu'il contrôle, l'Omnium nord africain (ONA), le roi, et plus largement la
famille royale, contrôle de nombreuses entreprises (Wana, troisième opérateur
téléphonique du pays, Attijariwafa Bank, première banque du Maroc et
septième d'Afrique, etc.). L'ONA intervient par ailleurs dans d'autres secteurs
(agroalimentaire, assurance, immobilier, distribution : les voitures
Peugeot et Citroën sont commercialisées via une société contrôlée par l'ONA qui
est par ailleurs actionnaire de Lafarge Maroc). Ainsi, avec l'ONA, Attijariwafa
Bank et la Caisse des dépôts (dont le directeur général est nommé par le roi),
une partie importante de l'économie est contrôlée par le palais.
LA
LÉGITIMITÉ DU ROI N'EST PAS DISCUTABLE
Au terme de
la constitution, la personne du roi est "sacrée et inviolable" et
aucun membre du parlement ne peut remettre en cause le régime monarchique ni
porter atteinte au "respect dû au roi". Ainsi, toute critique des
faits, gestes ou paroles du roi et de la famille royale, est interdite. Au-delà
de cette légitimité indiscutable, le système organisé par le palais empêche
tout contre-pouvoir, en discréditant la classe politique et la justice et en
contrôlant les médias. Les partis politiques ne remplissent pas vraiment leur
rôle d'établir des projets de société, de structurer le débat politique, de
militer et de s'opposer au gouvernement pour ceux qui sont minoritaires. La
très grande majorité d'entre eux, avec leurs leaders, sont compromis dans le
système imposé par le roi. En effet, l'absence de parti majoritaire au
parlement (le premier parti compte environ 50 députés pour une assemblée de
plus de 300 députés ), fait que sept partis sont représentés au
gouvernement, des anciens communistes, aux conservateurs, en passant par les
socialistes.
Depuis
quinze ans, tous les gouvernements sont "composés" de représentants
de plusieurs partis, de gauche et de droite. L'objectif est de faire
participer, ou compromettre, le plus de partis possible pour qu'ils ne
constituent pas une force d'opposition alternative à la politique poursuivie.
Il s'agit de diviser pour mieux régner. Le discrédit vient aussi du fait que
les partis historiques d'opposition – le parti de l'Istiqlal et
l'l'Union socialiste des forces populaires (USFP) – et leurs leaders sont
aujourd'hui de fidèles serviteurs du roi. Ces partis, qui ont été dans
l'opposition contre Hassan II durant plus de trente ans, ont accepté en 1997 de
former un gouvernement de coalition aux conditions fixées par ce dernier, les
mêmes qu'ils avaient refusé quatre ans auparavant. Depuis, ils ont participé à
tous les gouvernements devenant ainsi la caution du système (malgré des
dissensions internes, notamment à l'USFP) !
Par
ailleurs, beaucoup (pas tous) d'hommes politiques ne poursuivent pas un
engagement et une conviction politique, mais une carrière et des intérêts
personnels. Certains entretiennent des liens étroits avec des conseillers
influents du roi et sont soupçonnés de prendre leurs instructions auprès
du palais, avant d'agir dans leur parti. Les conditions dans lesquelles a été
formé l'actuel gouvernement illustrent cela : des personnalités ont été
choisies pour y entrer, non pas en raison de leur appartenance à un parti
politique, mais grâce à leur proximité avec certains conseillers du roi. Cela a
été ensuite habillé politiquement en les faisant adhérer, deux ou trois jours
avant l'annonce de la composition du gouvernement, dans un parti politique,
afin d'affirmer que ce gouvernement est le fruit du jeu politique
"naturel" et du résultat des élections.
SOUPÇONS DE
CORRUPTION
Le discrédit
s'explique enfin par le fait que les élus et le gouvernement ne choisissent pas
la politique menée. Les orientations politiques et les projets importants sont
déterminés par le palais, et le gouvernement exécute les "directives
royales". Une démocratie ne peut être et fonctionner que si la justice est
indépendante, que si la loi s'applique à tous de manière égale et que la
justice est rendue sans favoritisme. Au Maroc, ce n'est pas toujours le cas. Il
n'est pas rare de lire dans la presse que des poursuites pénales sont initiées
par un procureur suite à la colère du roi contre tel ou tel commis de l'Etat
dont le roi soupçonne (parce qu'on le lui a soufflé à l'oreille) une
malhonnêteté. Curieusement, la machine judiciaire a plus de mal à s'enclencher
indépendamment du roi ou de ses conseillers. Plus généralement, c'est tout
l'appareil judiciaire qui est décrédibilisé par des soupçons de corruption.
L'existence
de plusieurs journaux, radios et chaînes de télé donne l'illusion d'un
pluralisme. Il ne faut pas s'y tromper : si au début des années 2000, ces
médias ont initié un début de liberté de ton, révélant et dénonçant les années
de plombs de l'époque Hassan II, ils ont payé le prix de leur
"audace". Aujourd'hui, plus aucun média ne s'aventure à critiquer les
décisions et paroles du roi ou de ses conseillers les plus proches.
L'intimidation se fait par la poursuite en justice de ces médias en
"dictant" des peines d'amendes très lourdes contre ces journaux, afin
de les asphyxier financièrement. D'autres méthodes sont utilisées :
blocage des comptes bancaires, saisie du matériel de travail, jugement d'interdiction
d'exercice de la profession de journaliste, etc., et appel des différents
annonceurs pour les dissuader de diffuser leurs publicités dans ces journaux.
Certains de leurs fondateurs ont été contraints de quitter la profession et le
Maroc. Aujourd'hui, les médias sont contrôlés étroitement et tout écart de
langage est sanctionné !
En
conclusion, un pouvoir concentré essentiellement entre les mains d'un seul
homme qui n'a de compte à rendre à personne, une classe politique et un
appareil judiciaire discrédité et une presse verrouillée. Voici la réalité de
la "démocratie" marocaine. Parler de processus démocratique n'est
donc pas très sérieux ! Il est dans l'intérêt de la monarchie d'écouter la
contestation actuelle et d'accepter que la constitution soit substantiellement
réformée pour que le roi règne sans gouverner. La monarchie montrerait qu'elle
a compris les événements et le sens de l'histoire. Juan Carlos l'avait compris
en 1975.
COMMENTS